"Montrer qu'il y a une vie après l'amputation" | Rencontre avec Olivier, orthoprothésiste et son patient Yoann.
Bonjour Yoann et Olivier. Comment avez-vous connu U-Exist ?
Olivier : je connais Simon le fondateur depuis la sortie de l’école. Yoann l’avait également rencontré lors d’un week-end de ski organisé par Ottobock avec l’association ADEPA. Simon avait organisé un concours à cette occasion et Yoann qui est quadri amputé avait remporté plusieurs paires de U-Dress.
Yoann : oui, ensuite j’ai passé commande pour les prothèses tibiales, puis les prothèses de bras. Ça fait du bien d’avoir des esthétiques non traditionnelles, plus travaillées et personnelles. Ma prothèse de bras actuelle représente le tatouage que j’ai dans le dos sur un motif python, j’aime beaucoup.
Yoann, est-ce qu’il y a un avant/après customisation pour toi ?
Yoann : non, la couleur chair ne me dérangeait pas spécialement sur mes prothèses. Après c’est vrai que les gens viennent plus facilement engager une discussion quand on a une prothèse plus esthétique et design. Pour ma famille c’était différent, ma mère par exemple avait du mal avec le côté non traditionnel, elle ne voulait pas que je me fasse remarquer.
Depuis combien de temps vous connaissez-vous tous les deux ?
Yoann : on se connaît depuis que j’ai été amputé en 2007. À la sortie de ma rééducation, Olivier s’occupait de mes bras et un de ses confrères de mes jambes, puis j’ai rencontré plusieurs prothésistes avant de pouvoir tout centraliser chez Olivier à Orthofiga.
Je crois savoir que vous avez fait beaucoup de choses ensemble ?
Yoann : oui nous avons participé à un premier stage de “sur”vie en Corse tous les deux, mais aussi un grand voyage au Groenland, des week-ends de surf, d’escalade, du ski, de la plongée, des randos…
Olivier : cela fait près de 12 ans que nous organisons des journées et week-ends de surf sur la région de Lorient avec l’association Breizh Winner que l’on a créée avec Orthofiga. En Bretagne il y a également l’association VAGDESPOIR qui est très active et grâce à qui Yoann avait eu l’occasion de faire du char à voile et du surf.
Qu’avez-vous pensé de ces expériences ?
Yoann : c’était génial, ça permet de se découvrir un peu plus. Avant le premier stage de “sur” vie on se posait quand même pas mal de questions, on ne savait pas trop à quelle sauce on allait être mangés, avec un groupe qu’on ne connaissait pas forcément, dans un lieu dépaysant… mais au final c’était une belle surprise.
Ça consistait en quoi ce stage de “sur vie” ?
Yoann : nous sommes partis quatre jours et trois nuits dans le maquis corse, du côté de la vallée d’Ortolo. Nous vivions en totale autonomie avec une simple bâche pour dormir, un duvet, un slip et un t-shirt que l’on devait laver le soir dans la rivière. Pour manger, nous avions des rations de “survie” c’est-à-dire des boîtes de conserve, de sardine… le minimum, mais de quoi manger suffisamment.
Olivier : l’objectif était de randonner, d’établir un camp chaque soir et de partager quelques astuces comme démarrer et entretenir un feu, ramasser du bois, aménager un camp, créer son bivouac avec une simple bâche et un duvet, découvrir la nature et chercher les produits comestibles, savoir faire des nœuds, réaliser un brancard pour déplacer un blessé ou encore traverser une rivière sans salir son paquetage ni ses habits. Un peu d’autonomie autour du camp également comme faire sa vaisselle, se laver, filtrer de l’eau. C’était de la survie douce, on n’est pas dans l’extrême. Le but est de connaître quelques bases pour avoir de l’autonomie en forêt, tout en travaillant en équipe. Lors de ce stage, on s’organisait en binôme. J’étais celui de Yoann et je l’aidais à faire à manger sur le camp. Il y avait au total 5 amputés ainsi qu’un guide, Frank Bruno qui est lui-même amputé tibial. J’étais accompagné d’une autre personne valide en cas d’éventuel problème. En résumé, c’était surtout dans le but de passer un bon moment dans la nature, d’apprendre des choses et créer de la cohésion, que chacun apprenne des uns et des autres.
“Montrer qu’il y a une vie après l’amputation”
Avez-vous d’autres excursions à nous raconter ?
Olivier : oui on a également fait du ski par le biais de l’association ADEPA. Une sacrée aventure avec Yoann qui n’a ni bras ni jambes et qui n’avait jamais vu la neige (rires).
Yoann : oui c’était assez épique. Je suis tombé à de nombreuses reprises la première fois, mais beaucoup moins la deuxième fois. On a aussi fait un beau voyage au Groenland, toujours avec notre guide Frank Bruno qui nous a fait l’honneur de nous inviter dans sa maison là-bas, où il se rend deux-trois fois dans l’année. Nous y avons passé 15 jours, c’était grandiose, dépaysant, on vit vraiment dans un autre monde.
Olivier : Frank organise des excursions par le biais de son association Bout de Vie, principalement des stages de mer en Corse. Le but de son asso est de montrer qu’il y a une vie après l’amputation. Suite au stage de survie, il nous a proposé à tous les deux de le rejoindre quinze jours au Groenland. Nous étions également avec une personne aveugle et son compagnon. Nous nous sommes isolés durant une dizaine de jours dans une cabane de chasseurs, on a randonné et vécu au rythme de la nature à aller cueillir, pêcher, préparer notre nourriture, aller chercher de l’eau dans le ruisseau… on avait une petite embarcation qui nous permettait de nous déplacer de fjord en fjord pour faire des randonnées, voir des lacs, cascades, glaciers…
Quel est votre retour d’expérience après ce grand voyage ?
Yoann : au départ ce n’était pas facile d’en parler, c’est toujours le cas. C’est presque personnel, il faut l’avoir vécu pour comprendre ce que j’ai ressenti là-bas. Je pense que personne ne peut imaginer à quel point nous pouvons vivre différemment, il faut le voir pour le croire. J’en parle très peu car c’est difficile à comprendre.
Olivier : la vie là-bas est complètement rythmée par la nature. S’il fait beau ils vont chasser, pêcher. Si le temps est mauvais, ils entretiennent leur matériel, s’occupent de leur meute de chiens qui leur demande beaucoup de temps, ils font de l’artisanat, se confectionnent des habits, ou préparent la belle saison. Dès qu’ils ont un créneau ils vont chasser ou pêcher sur la banquise, les horaires ne représentent rien pour eux. L’apparence, la communication, tout est absolument différent, alors c’est vrai que c’est dur de retranscrire, c’est presque plus une émotion qu’une discussion.
Yoann : ce que je retiens aussi de cette expérience c’est d’être partie avec Marie qui est non-voyante. J’avais l’impression qu’elle voyait, qu’elle ressentait beaucoup de choses, c’était incroyable. Tout était beau, on n’a eu aucun obstacle. Ça permet aussi de se découvrir, je me suis aperçu que je pouvais faire beaucoup plus de randonnées que ce que je pensais.
“Voir autre chose que le sport de haut niveau”
Le but derrière ces excursions finalement c’est de se challenger ?
Yoann : oui et à partir du moment où tu acceptes de sortir de ta zone de confort c’est là que tu découvres que ce n’est pas plus mal finalement, parce qu’après de toute façon tu vas la retrouver…
Olivier : ce que je trouve bien aussi c’est de voir autre chose que le sport de haut niveau. Maintenant on connait les amputés depuis les J.O de Londres, la course à pied avec Oscar Pistorius etc… c’est super, mais ça représente quand même une minorité, ce sont des extraterrestres par rapport à nous. Pour les amputés c’est la même chose, le haut niveau ça représente une malle dans une malle. En tant que prothésiste, mon objectif est de faire marcher mes patients. On peut les faire courir, mais un patient âgé qui sort de rééducation, son objectif ne va pas être les J.O, donc si c’est viser d’être autonome chez lui et de pouvoir aller acheter son pain avec sa voiture, c’est ça son challenge. C’est juste le curseur qui est différent mais c’est l’équivalent de la préparation d’un sportif de haut niveau.
À part le Groenland qui était vraiment exceptionnel, on a également fait de nombreuses randonnées vers chez nous en Bretagne, et ça c’est accessible à tout le monde. Quand j’organise des randonnées ou des balades à vélo, je pourrais faire exactement pareil en famille. Je pense que ça peut être l’élément déclencheur pour montrer à un patient qu’il peut le faire et tout seul. On en est tous capables, contrairement aux JO.