"En France, nous sommes archaïques sur la question du handicap." - Rencontre avec Denis Fournier.

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U-Exist : Bonjour Denis, peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?


Denis Fournier : Je m’appelle Denis, j’ai 52 ans et dans la vie, je suis manager chez Orange depuis 25 ans, dirigeant une trentaine de personnes. Ma deuxième activité est en tant que vacataire pour l'IUT de Lens, où j'interviens sur des cours de management pour les Bac+3. Je donne également des formations en tant qu'auto-entrepreneur pour un centre de formations. J'ai été amputé à l'âge de 18 ans suite à un angiosarcome du genou. Je suis appareillé en DDH, un dispositif particulier avec une prothèse à coque, impliquant une amputation totale du membre inférieur gauche. 


UE : Tu es familier avec U-Exist, n'est-ce pas ?


DF: Oui, depuis le début. Cela a commencé grâce à ma prothésiste qui m'a surpris en plaçant un patch sur ma prothèse. Quand je l'ai découvert, je me suis demandé ce que c'était. C'était amusant et ludique, alors j'ai consulté le catalogue, et à chaque renouvellement, je choisis une petite fantaisie différente à chaque fois.


UE : Comment as-tu abordé la personnalisation de ta prothèse ?


DF : Je porte exclusivement des bas cosmétiques U-Dress, j’en suis très satisfait car cela me permet d'avoir beaucoup plus de choix et je peux les assortir à mes tenues.

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UE : Comment vivais-tu le fait de porter une prothèse avant la possibilité de personnalisation ?


DF : Je portais déjà des shorts à l'époque, mais plutôt dans un cadre privé lorsque les gens me connaissaient. Lorsque j'ai découvert les U-Dress, je l'ai pris comme un jeu, du côté ludique. Cela a rendu les choses beaucoup plus simples, les gens posent beaucoup de questions : "c'est quoi, ça vient d'où ?", etc. 


UE : Comment vis-tu le fait qu'on te pose des questions ?


DF : Je le vis bien. Je n'ai pas honte de mon handicap, je ne le cache pas du tout. Je vis avec depuis 35 ans maintenant, j'en parle librement. Je donne aussi des conférences sur le management, le handicap et le sport de haut niveau, car j'en fais. Donc, j'en parle totalement librement, sans problème.


UE : Quel sport pratiques-tu ?


DF : Je pratique le basket-fauteuil, j'ai été en équipe de France, j'ai participé aux coupes d'Europe, et j'ai joué dans quelques clubs de la région : Villeneuve d'Ascq, Lille et Cambrai. J'ai pas mal évolué sur les parquets de France et j'étais d’ailleurs l'un des premiers à porter les U-Dress, ce qui a permis à d’autres copains amputés de s’en procurer à leur tour. Cela démocratise un peu, et évite de vivre avec des bas couleur chair que nous avions tous avant l'existence de ces produits, que j'appelle les "bas de mamie".

 

UE : Comment choisis-tu tes prothèses ?


DF : Je les choisis souvent avec ma fille. 90% du temps, c'est sous un pantalon, mais l'été, je les assume complètement. C'est comme un accessoire, un nœud papillon ou une cravate, par exemple.


UE : Tu disais prendre la parole régulièrement sur le handicap ?


DF : Oui, je suis correspondant handicap pour Orange France, j'interviens depuis 15 ans et forme les managers à gérer des personnes en situation de handicap. Par le bouche-à-oreille, j'ai également eu l'occasion de sensibiliser au handicap pour d’autres grands groupes, ainsi que dans les écoles. 


UE : Quels sont les grands messages que tu souhaites transmettre ?


DF : Je parle évidemment des handicaps visibles comme invisibles, mais je souligne qu'aujourd'hui, bien que des progrès soient réalisés sur le handicap, nous n'allons pas aussi loin que nos voisins, notamment nordiques. Mon message est plutôt de dire : n'ayez pas peur d'embaucher une personne en situation de handicap. Les statistiques montrent d’ailleurs que ces personnes sont moins absentes que les autres. Le handicap ne devrait pas être un frein au travail et il n'y a aucune raison pour qu'une personne soit moins compétente qu'une autre. La plupart du temps, elle se sentira redevable et travaillera même plus. C'est ce message que j'essaie de faire passer : ne pas avoir peur du handicap. Aujourd'hui on le craint, mais il peut toucher la famille, les enfants, les amis en l'espace d'une fraction de seconde, à cause d'un accident de voiture, de moto, de vélo... J'essaie de démocratiser, à mon petit niveau, la vision du handicap.


“En France nous sommes complètement archaïques sur la question du handicap.”



UE : Tu évoques nos voisins scandinaves. Comment nous situons-nous par rapport à eux selon toi ?


DF : Nous sommes mauvais. En termes de respect et de manière de présenter les choses, j'ai parcouru plusieurs pays avec l'équipe de basket, et je peux confirmer qu’en France, nous sommes complètement archaïques sur la question du handicap. Il n'a pas du tout été intégré comme il aurait dû l'être depuis une vingtaine d'années, il y a toujours un clivage. Pour donner un exemple, en sport, nous avons une fédération française Handisport, alors que dans beaucoup d'autres pays, cette séparation n’existe pas. Si vous faites du basket, vous êtes affilié à la fédération de basket du pays, point final. Certains obligent même des équipes de haut niveau valides à avoir une équipe handisport, les forçant ainsi à intégrer le handisport avec les valides. En France, nous en sommes très loin. Les infrastructures sont également très en retard. Alors que nous allons accueillir les Jeux Olympiques à Paris, une station de métro sur trois n'est pas accessible, ce qui est absurde. Les bus ont une bordure, ce qui rend difficile l'accès. Lorsque vous êtes en fauteuil roulant et que vous devez prendre le train, vous ne pouvez pas le faire au dernier moment, vous devez appeler la SNCF pour qu'une rampe soit éventuellement mise en place. Nous sommes à des années-lumière.

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UE : Concrètement, quelle différence cela implique-t-il par rapport à nos voisins de ne pas dissocier les fédérations handis ?


DF : Je vais prendre l'exemple du basket, car c'est ce que je connais le mieux. En Allemagne, en Espagne, en Italie, en Angleterre, les joueurs de basket handisport sont professionnels. Ils ont un salaire similaire à celui des valides et bénéficient des mêmes avantages, car ils font partie intégrante de clubs de haut niveau. En France, cela n'existe pas du tout. Il y a deux clubs, Dijon et Châlon-sur-Saône, qui ont essayé de mettre cela en place, mais ce sont les deux premiers.

 

“La Fédération Française de Handisport refuse le professionnalisme.”

 

UE : Cela signifie qu'en France, aucune personne en situation de handicap ne peut devenir sportive professionnelle ?


DF : Aujourd'hui en France, la Fédération française de handisport refuse le professionnalisme. Alors que dans d'autres pays, c'est accepté. Ailleurs qu’en France, un joueur de basket handisport peut être professionnel, il peut faire du sport son métier et être rémunéré par son club. Ici, cela n'existe pas.


UE : Qu’est-ce qui explique ce fossé selon toi ?


DF : Le problème se situe au niveau des fédérations et des postes que certains y occupent. Au lieu de faire progresser le handisport, comme ils s’en vantent parfois dans les médias, ils le font reculer. Si vous regardez le nombre de médailles remportées en handisport, ce n'est pas grâce aux fédérations. Ce sont les athlètes de haut niveau qui trouvent eux-mêmes des sponsors pour pouvoir travailler, s'entraîner, se faire financer du matériel, ce qui leur permet de décrocher des médailles olympiques. Malheureusement, ils sont plus commerciaux que sportifs.

 

UE : Quel est ton point de vue sur les Jeux Paralympiques ?


DF : C'est bien parce que c'est exposé au monde entier, on en parlera sûrement, mais pour moi c'est un coup d'épée dans l'eau. On en parle depuis un an, on associe le handisport avec les valides pour des démonstrations sur le Trocadéro… Cependant, je suis persuadé qu'après le 15 septembre 2024, on mettra les athlètes handisport de côté, et on les ressortira aux prochains JO. Il n'y a pas de continuité dans le mouvement olympique, pas de volonté de se dire qu'on va travailler pour les prochains jeux, etc. Parmi toutes les fédérations, il n'y a pas vraiment d'accompagnement, même si cela fait six ans que nous savons que les JO auront lieu chez nous. Nous aurions pu nous préparer beaucoup mieux pour obtenir plus de médailles.


UE : Et en termes de visibilité ?


DF : Je n'ai jamais vu autant de spots publicitaires avec des personnes en situation de handicap, donc c'est très bien. Mais il y a aussi ce côté "quotas" qui se ressent. Quelques sociétés ont toujours joué le jeu, je pense à EDF notamment, qui a toujours été partenaire de tous les athlètes handisport. Ils facilitent l'accueil des sportifs de haut niveau en les embauchant et en leur laissant le temps de s'entraîner, par exemple. Il y a peu d'entreprises en France qui jouent le jeu comme eux.

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“Le sponsor d’un athlète handisport n’obtient aucun retour sur investissement. Il s’agit clairement d’un acte de mécénat.”


UE : Peux-tu citer d'autres exemples de sportifs pour lesquels la situation est complexe ?

DF : J'ai un ami cycliste qui, malgré ses distinctions en tant que triple champion d'Europe et deux fois champion du monde, a dû financer lui-même des roues plus légères pour sa course. La fédération n'a pas fourni de soutien financier, même en reconnaissant son potentiel de médaillé olympique. Bien qu'il ait trouvé un sponsor pour l'aider, il est confronté à des restrictions lors des Jeux Olympiques, car il ne peut pas arborer le logo de son sponsor sur son maillot en raison des règlements de la fédération. Ainsi, le sponsor n'obtient aucun retour sur investissement, et il s'agit clairement d'un acte de mécénat.

J'ai également fait la connaissance d'une golfeuse handisport, amputée du bras gauche, qui s'adonne au para-golf. En dépit de son rôle de présidente du para-golf pour les Hauts-de-France, et bientôt au niveau national, elle fait face à des défis considérables dans le monde du golf en raison des fédérations séparées. 

Aujourd'hui, nous assistons à du handisport de haut niveau captivant, mais la visibilité dans les médias et particulièrement à la télévision est limitée. Plutôt que de diffuser ces événements pour les démocratiser et sensibiliser le grand public, nous sommes exposés à des contenus de plus en plus abrutissants. Sur France 2, on doit probablement considérer que les quotas sont suffisamment remplis lorsqu’un athlète handisport intervient une fois par semaine pendant 10 minutes pour parler de sa discipline…

UE : Constates-tu une différence de perception du handisport selon les pays ? 

DF : En ce qui concerne les Jeux Olympiques en France, les places pour les compétitions handisports sont offertes à 1 euro, alors qu'en Angleterre, les salles sont pleines à craquer. En France, on ne montre souvent que les athlètes déjà assurés de remporter une médaille, et on néglige ceux qui se battent pour avoir la chance de concourir. On a l'impression de ne pas regarder le même sport, bien que fondamentalement, il s'agisse du même. Un de mes amis handicapé a joué avec les Chicago Bulls aux États-Unis, et les salles étaient pleines. En Italie, également, les matchs handisports attirent de grandes foules, car les athlètes y sont considérés comme des professionnels de haut niveau. Voilà la différence entre la France et d’autres pays. 

UE : Le problème vient de l'éducation selon toi ? 

DF : Absolument. Environ trois quarts des enfants en situation de handicap n'atteignent pas un niveau d'études suffisant. Le niveau scolaire est bas car l'accompagnement nécessaire n'est pas suffisamment mis en place.

UE : Comment explique-t-on cette différence de niveau ? 

DF : Au lieu de placer les enfants en situation de handicap dans des centres spécifiques, il serait plus intelligent de les intégrer avec d'autres enfants pour montrer que le handicap n'empêche pas d'avoir un cerveau comme tout le monde. Contrairement à d'autres pays comme la Scandinavie, où les enfants en fauteuil vont à l'école avec les autres, en France, le handicap est souvent caché et montré uniquement lorsque cela convient. Il serait peut-être temps de changer de paradigme. 

1 commentaire

Beaucoup de choses trés intéressantes sur les valeurs du handicap , LES JO de la poudre aux yeux en septembre le handicap retombera dans les profondeurs , une fédération qui tarde à se développer même en régression en tant que responsable d’ une équipe BASKET FAUTEUIL difficile d’ émettre des idées un milieu fermé

Le sport collectif étant le parent pauvre

PREVOST Gérard 05 janvier 2024

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